Allongement de la durée de vie des produits : l’analyse décevante du CGDD

Découvrir une note documentée sur l’allongement de la durée de vie des produits, voilà une bonne nouvelle. Surtout lorsqu’elle provient du Commissariat Général au Développement Durable (CGDD), organe reconnu pour la qualité de ses recommandations en matière environnementale. La note publiée en mai 2016 « allonger la durée de vie des produits : analyse théorique des enjeux économiques et environnementaux » s’attarde sur deux mesures possibles : l’affichage de la durée de vie des produits et l’allongement des garanties.

Tout d’abord, la note a le mérite de poser les enjeux sur un sujet insuffisamment relayé dans le débat public. Elle présente avec pédagogie les questions liées à une modification du taux de renouvellement des biens : si les produits deviennent plus durables, les conditions de profitabilité sont modifiées pour des entreprises qui devront vendre moins fréquemment leurs produits. L’impact environnemental de l’allongement est jugé favorablement, dans la mesure où les déchets sont réduits. La note insiste d’ailleurs sur la nécessité de prioriser ces mesures pour les biens dont la fin de vie occupe une place importante dans l’analyse environnementale de leur cycle de vie.

La première mesure analysée est l’affichage de la durée de vie des produits en magasin. Pour le CGDD comme pour HOP, cette mesure serait positive car elle permettrait aux consommateurs d’effectuer un meilleur choix : a-t-on intérêt à dépenser plus pour un produit qui durera plus ? L’affichage permet de réduire les asymétries d’information entre le consommateur et le producteur. Aujourd’hui, face à l’incertitude sur la durée de vie des biens, les consommateurs se portent fréquemment sur les produits peu onéreux, afin de limiter le risque (effet d’anti-sélection). Or, avec l’affichage de la durée de vie, les biens durables seront davantage valorisés et donc consommés. Au final, l’environnement y gagne et, selon le CGDD, l’économie y gagne aussi car l’information est mieux partagée.

C’est sur la deuxième mesure que l’analyse du CGDD peut décevoir les lecteurs avertis. L’allongement de la durée de garantie augmentera la durée de vie des biens et aura donc un impact positif sur l’environnement. Sur ce point, on ne peut qu’être d’accord. Sur les enjeux économiques, en revanche, la note reste mitigée, déplorant des effets « ambigus ». En cause : les produits « plus solides » seront plus coûteux à produire, plus onéreux à l’achat, et moins fréquemment achetés. Les entreprises devront donc avoir des marges plus importantes. Mais en quoi ces effets sont-ils fondamentalement différents de ceux liés à l’affichage de la durée de vie des produits, qui favorisera également les produits durables ? En réalité, ce sont les modèles économiques du futur qui sont promus par ces deux mesures : une diminution des déchets et une production plus responsable pour la fidélisation de clients.
Si l’impact sur l’économie est jugé « ambigu », c’est sans doute qu’il n’est pas défini. S’il s’agit des anciens modèles de consommation / production de masse, avec une croissance économique destructrice des ressources naturelles, il est possible de comprendre la difficulté à aller au bout du combat pour l’allongement de la durée de vie des produits. Mais dans une optique de « développement durable » (au cœur du nom de l’organisme en question), l’appréhension du long terme invite à voir positivement ces deux mesures !

Le CGDD déçoit également sur sa vision de l’innovation, qui risquerait d’être freinée par un taux de renouvellement inférieur des produits. Pour HOP, cette affirmation est discutable. De nombreux travaux d’économie de l’innovation regrettent le primat actuel de l’innovation incrémentale, qui consiste simplement à ajouter de petits gadgets pour vendre chaque année un nouveau produit, au détriment des innovations radicales. De plus, comment oublier que l’allongement des garanties stimulera certaines innovations, les fabricants souhaitant concevoir des produits plus robustes à moindre coût ?

Enfin, sur la réparation, la note s’avère trop imprécise pour être convaincante. D’une part, l’allongement de la durée de vie ne signifie pas nécessairement qu’il va falloir aller de réparation en réparation, comme cela est suggéré. C’est l’un des fondements de l’obsolescence programmée, reconnue par la loi : aujourd’hui, les fabricants seraient capables de produire des biens plus solides, sans besoin de les réparer sans cesse. L’enjeu est de les inciter à le faire. La réparation intervient ensuite, pour prolonger encore la vie des produits : là encore, l’environnement y gagne. Ce qu’oublie le CGDD, c’est que l’économie y gagne aussi, à travers les milliers d’emplois locaux à créer dans le secteur de la réparation.

Pour toutes ces raisons, l’association HOP invite à aller plus loin dans la construction d’une économie durable. Elle rejoint cependant le CGDD dans sa dernière recommandation : il est nécessaire de renforcer la connaissance empirique et théorique du sujet, car les enjeux économiques, sociaux et environnementaux sont vitaux pour notre futur.

Samuel Sauvage

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