Droit à la réparation en Europe : un droit théorique ou effectif ?

La distinction faite par Karl Marx entre « égalité réelle » et « égalité formelle » trouverait-elle une déclinaison actuelle en Europe sur le droit à la réparation ? La mise en place d’un tel droit, impulsée par la Commission Européenne en mars 2023, révèle effectivement aussi bien des avancées notables que des insuffisances regrettables.

En tant qu’expert mandaté auprès de Thierry Libaert, rapporteur du Comité économique et social européen sur le sujet, Samuel Sauvage (co-fondateur de HOP) a pu analyser le texte et élaborer des préconisations.

Une initiative bienvenue de la Commission

Le droit à la réparation érigé au niveau européen a de quoi faire rêver : le premier marché économique mondial proclame un nouveau droit susceptible d’influencer tous les fabricants mondiaux. Ce droit à la réparation vient au chevet de deux préoccupations : la protection de l’environnement d’une part, et le soutien aux consommateurs d’autre part.

L’un comme l’autre sont des victimes plus ou moins directes de la surconsommation, qui elle-même résulte en partie d’un recours minimal à la réparation. Quand on sait que l’essentiel de l’impact environnemental d’un produit tient à sa fabrication, l’urgence de réparer davantage n’en est que plus incontestable.

Comme toute proposition de directive, le droit à la réparation a vocation à s’appliquer dans chaque Etat membre, d’où son effet potentiellement considérable. Dans ce projet, la Commission impose aux fabricants de tous pays de garantir la possibilité de réparation des biens qu’ils ont mis sur le marché, même après la période de garantie. Aujourd’hui, si votre appareil tombe en panne après la garantie légale de 2 ans, rien n’oblige le fabricant à s’assurer qu’il soit en capacité de le réparer. Avec cette directive, cela devrait changer.

Les drapeaux des différents membres de l'Union européenne

“Le droit à la réparation a vocation à s’appliquer dans chaque Etat membre, d’où son effet potentiellement considérable”

Autre avancée : pendant la garantie légale, le choix entre la réparation ou le remplacement du produit à neuf sera limité, avec une préférence pour la réparation. Plus concrètement, si la réparation ne revient pas plus cher que le remplacement, elle doit être privilégiée. La Commission propose en outre de favoriser l’information sur les réparateurs existants, avec l’obligation pour chaque pays de référencer les réparateurs sur une plateforme dédiée, et l’établissement d’un formulaire européen qui donnera certains « standards » de réparation.

Tendre vers un droit réel et non théorique

Force est de constater que ces évolutions, si intéressantes soient-elles, ne suffisent pas à créer un droit européen à la réparation, comme le rappelle également la coalition Right To Repair dont fait partie HOP.

Trois éléments essentiels manquent à l’appel selon nous :

  • Le coût : avoir la possibilité de réparer suffit-il à garantir un recours réel à la réparation ? Ne faudrait-il pas prendre en compte le premier obstacle à la réparation, c’est-à-dire son coût ? Hors période de garantie, la réparation n’est souvent pas rentable, d’où l’idée de la mise en place du fonds pour la réparation en France à l’initiative de HOP. Une incitation financière semble indispensable pour passer de l’idée de la réparation à l’action.
  • L’universalité : l’accès à la réparation peut-il s’exonérer de réfléchir à l’accès de tous les réparateurs aux documents ou outils permettant la réparation ? Derrière cette préoccupation, celle de soutenir les réparateurs indépendants, souvent victimes de la stratégie des grandes marques qui souhaitent réserver la réparation de leurs objets à une liste de réparateurs agréés. Or, pour le consommateur, avoir droit à la réparation, c’est aussi pouvoir compter sur le réparateur du coin de la rue.
  • La capacité technique : le droit à la réparation existe-t-il si certains objets sont conçus pour être irréparables, ou si les obstacles à la réparation sont de nature à décourager les consommateurs motivés ? Agir en amont, dès la conception du produit, semble indispensable. Cela implique d’interdire, en Europe, les obstacles intentionnels à la réparation. Cela fait écho à la plainte menée par HOP, dont l’enquête a été ouverte en France, contre Apple et ses pratiques dites de « sérialisation » qui restreignent les possibilités de réparation et de reconditionnement des produits.
Des outils sur un établi

Pour HOP, 3 éléments manquent à l’appel pour un droit à la réparation effectif : la question du coût, celle de l’universalité et la capacité technique.

Vers un consensus européen prometteur ?

Ces propositions d’ajouts au droit à la réparation ont été portés par Thierry Libaert au Comité économique et social européen, avant l’examen par les eurodéputés du texte. Il a également porté le besoin de faciliter l’ouverture des données des pièces détachées pour favoriser leur impression 3D quand celles-ci ne sont plus disponibles.

Le 14 juin 2023, le texte a été largement approuvé par les représentants d’entreprises, de syndicats, de la société civile, des 27 pays européens. Des compromis ont ainsi été trouvés pour préfigurer un modèle européen de droit à la réparation plus ambitieux.

Certes, nous direz-vous, l’avis de ce Comité n’est que consultatif. Toutefois, il y a un an, les propositions travaillées dans le même cadre, notamment celle demandant à l’Europe d’interdire explicitement l’obsolescence programmée, ont été récemment approuvées par le Parlement européen. De la même manière, il est fort possible que ces propositions soient reprises par le Parlement européen. Rappelons également que c’est ce même Comité, sous la houlette de Thierry Libaert, qui avait été à l’initiative du premier texte européen contre l’obsolescence programmée.

Espérons que le Parlement et les représentants des États membres saisissent ces propositions pour maintenir l’ambition d’un droit européen à la réparation, et « réparent » la proposition initiale des regrettables oublis qui l’émaillent encore.

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