80% de l’impact environnemental d’un produit est déterminé au stade de sa conception. Qu’est-ce qu’écoconcevoir ? Comme l’explique ce nouveau guide, cela consiste à intégrer dès cette phase “les caractéristiques environnementales en vue d’améliorer la performance environnementale du produit tout au long de son cycle de vie”. La conception est aussi directement déterminante pour le développement de l’économie circulaire : plus un produit est durable et réparable, plus il sera facile à réparer ou réemployer. L’allongement de la durée d’usage est une des principales clés pour diminuer l’impact environnemental global des produits, étant donné que la fabrication représente l’essentiel de cet impact.
Conscients de cet enjeu crucial, les législateur·ices français·es et européen·nes cherchent à renforcer les réglementations en vigueur. Au niveau français, l’indice de durabilité prévu par la loi AGEC arrivera courant 2024 pour les lave-linges et les télévisions, pour lesquels il remplacera l’indice de réparabilité en vigueur depuis 2021.
Le nouveau règlement cadre “Ecodesign for sustainable products regulation” (ESPR) de l’Union européenne entend élargir le champ d’application des exigences en matière d’écoconception à presque tous les produits mis sur le marché de l’UE et y intégrer entre autres des critères de réparabilité et de durabilité. C’est dans ce contexte, que le Club de la Durabilité, composé de 40 entreprises engagées, a écrit son nouveau rapport sur l’écoconception.
D’importants freins socio-économiques et techniques
Malgré cette dynamique, le guide pratique souligne les contraintes importantes qui pèsent sur les entreprises souhaitant se lancer dans l’écoconception. La complexité des chaînes de production mondialisées engendre des contraintes techniques. Aujourd’hui, la fabrication des pièces détachées, tout comme l’assemblage, se font majoritairement dans de grandes usines situées dans des pays où la main d’œuvre est bon marché. Leurs lignes de production, leur culture, leurs pratiques sont adaptées aux produits les plus vendus des grandes marques de biens manufacturés, qui ne répondent pas à des critères de durabilité ou de réparabilité. Les designers ont des choix restreints d’un point de vue technique, avec notamment des “sous-ensembles” de pièces soudées plutôt que des composants facilement séparables.
Les designers et fabricants engagés ont donc souvent l’impression de devoir “repartir de 0” — ou presque — face à l’immaturité globale des chaînes de production classiques et doivent consentir à d’importants investissements en R&D pour concevoir des produits durables et réparables. Il est parfois nécessaire de s’associer à de plus petits fournisseurs ou d’internaliser certains pans de la production (fabrication de certaines pièces, assemblage…). Cela peut générer un coût supplémentaire et non négligeable pour certaines entreprises.
Ce coût de l’écoconception est encore gonflé par le besoin de tests pour mesurer et comparer la fiabilité des produits, et par celui de pièces détachées rendues disponibles sur une plus longue période (données, stockage, logistique…).
Il ne s’agit pas de penser simplement la conception d’un point de vue technique, mais aussi économique, en “réinventant” la manière de commercialiser ces produits. Un produit robuste et réparable n’a de sens que si sa durée d’usage est rallongée.
Cela suppose de repenser les modèles marketing pour accompagner la phase d’usage et d’entretien, avec une responsabilité partagée entre entreprises et usager·ères. Cela implique aussi de changer de modèle économique en passant d’une logique de vente en volume et de remplacement fréquent des produits à celle d’une économie de la fonctionnalité et de l’usage, en créant de la valeur par le service sur l’ensemble de la durée de vie du produit.
Des bonnes pratiques à essaimer pour favoriser au sein des entreprises
Des solutions existent déjà face à ces défis. Ce guide est aussi l’occasion pour les acteurs du Club de proposer une boîte à outils de bonnes pratiques.
Il s’agit par exemple de s’appuyer sur l’indice de réparabilité — en se basant sur les quatre critères (démontabilité, documentation, disponibilité et prix des pièces détachées) généralisables à tous les produits. La collecte et le partage des données sur les pannes est aussi une des clés pour améliorer la fiabilité et la réparabilité.
Il s’agit de repenser le produit dès l’amont, en se basant sur les besoins réels des consommateurs et des consommatrices pour éliminer les fonctionnalités non essentielles. Cela va notamment à contre-courant des tendances en marketing et distribution qui valorisent souvent les produits plus puissants avec davantage de fonctionnalités.
L’objectif dans l’ecoconception est d’optimiser les ressources utilisées et de viser une haute intensité d’usage avec des produits évolutifs et multifonctions, des accessoires et fonctionnalités compatibles vendus séparément selon les besoins des consommateur·rices. Dans cette même idée, privilégier des pièces interopérables permet d’assurer leur compatibilité avec plusieurs équipements et facilite leur disponibilité et leur accessibilité (stockage, prix…) dans le temps.
Il s’agit aussi de penser le·la consommateur·rice comme un·e usager·ère. Cela passe par le fait de rendre accessible et compréhensible le fonctionnement, le démontage et l’entretien des produits. Anticiper certains aléas est aussi un axe. Par exemple en paramétrant l’interface d’un produit numérique pour éviter qu’une petite casse d’une partie de l’écran ne le rende complètement obsolète.
Changer les règles du jeu : le rôle des pouvoirs publics
Les initiatives privées progressent. Mais il reste indispensable que les réglementations contribuent à changer les règles du jeu et favorisent la transition vers des produits plus durables et une économie circulaire. Le guide donne une série de recommandations aux décideurs et décideuses public·ques afin de simplifier et d’encourager les démarches d’écoconception.
Parmi plusieurs propositions, les entreprises soulignent l’importance d’un indice de durabilité ambitieux, avec des critères reflétant véritablement la durabilité et la réparabilité des produits, en conservant notamment la liste des pièces les plus sensibles ou le critère du prix. Tout cela dans le but de donner confiance et de sensibiliser les consommateur·rices. Les exigences liées aux nouvelles normes européennes doivent changer la donne et empêcher les produits les moins durables d’être mis sur le marché.
Ces critères peuvent être un levier pour créer des systèmes de bonus et malus afin d’inciter à la transition vers des produits plus vertueux. C’est ce qu’explore le Club de la Durabilité dans son premier groupe de travail 2024 “Vers une fiscalité circulaire”.