Ces dernières années, la prise de conscience écologique s’est traduite par une lutte accrue contre l’obsolescence programmée. Aux quatre coins du monde, des initiatives émergent, des recours en justice sont menés et des évolutions législatives sont adoptées. Tout cela dans un but précis : allonger la durée de vie des produits.
La Clinique juridique de l’environnement de l’université d’Aix Marseille a rédigé un rapport sur l’obsolescence programmée dans le monde, offrant ainsi un panorama des différentes avancées sur le sujet. Nous vous en proposons ici une synthèse. Prêts pour un tour du monde de ces initiatives en seulement quelques minutes ?
Europe : la France pionnière et des initiatives dans de nombreux pays
Le premier constat du rapport est l’implication de la France sur ces enjeux. Avec l’introduction du délit d’obsolescence programmée en 2015, la France est pionnière dans la prise en compte de ce phénomène. Elle continue aujourd’hui d’être à l’avant-garde de l’allongement de la durée de vie des produits, avec la création d’un indice de réparabilité, d’un fonds réparation et des propositions de loi sur la régulation de la publicité ainsi que sur l’extension de la garantie légale de conformité. Cet élan s’explique par une forte implication de la société civile, fédérée en partie autour d’associations comme HOP.
Les autres pays européens, en particulier l’Allemagne, la Norvège et l’Espagne, prennent des initiatives intéressantes. Le gouvernement allemand travaille actuellement à l’élaboration de mesures très ambitieuses. Parmi elles, l’extension des garanties légales qui s’élèverait à 7 ans et une durée minimale de 5 ans de disponibilité des pièces détachées pour les smartphones. Mais aussi, et ce serait une première mondiale, un plafonnement des prix des pièces détachées.
En Norvège et en Espagne, des collectifs de consommateurs se sont mobilisés pour dénoncer les pratiques de certains fabricants, avec des effets prometteurs. Ainsi, la plainte déposée contre Tesla en Norvège pour un cas d’obsolescence logicielle a donné lieu à une décision de justice. Celle-ci impose au constructeur automobile de verser plus de 13 000 euros de dédommagement à chacun des consommateurs lésés. Une association de consommateurs accuse quant à elle Apple de pratique commerciale déloyale. Et ce, en raison de l’impossibilité de remplacer un câble dont le dysfonctionnement empêche toute utilisation d’un MacBook.
Par ailleurs, les actions en justice se multiplient sur le territoire européen. Des réseaux de consommateurs commencent en effet à se solidifier à l’échelle du continent. Par exemple, le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) a regroupé plus de 25 000 témoignages, portant sur des dysfonctionnements des « Joy Con » de la Nintendo Switch, et accuse l’entreprise de pratique commerciale déloyale.
Malheureusement, les entreprises peuvent utiliser l’outil juridique pour freiner les initiatives durables, et maintenir leur modèle économique, basé sur le renouvellement accéléré des produits. C’est le cas d’Apple, qui, suite à un procès gagné en Norvège contre un réparateur accusé de revendre des écrans d’Iphone, a consolidé son monopole sur les pièces détachées, au grand dam des consommateurs.
Amérique du Nord : un mouvement fort pour le droit à la réparation
Aux Etats Unis, beaucoup de plaignants ont accusé Apple de réduire délibérément la durée de vie de ses produits. Malgré des promesses de dédommagements, Apple n’a finalement pas reconnu avoir eu recours à l’obsolescence programmée. L’entreprise a justifié le ralentissement de ses appareils par la nécessité de protéger les batteries. S’il n’existe pas de loi sur l’obsolescence, le droit à la réparation est consacré dans la loi fédérale. Il se traduit par des lois concrètes dans 27 Etats.
Au Canada, les Repair Cafés sont très développés, tout comme les associations de plaidoyer, comme iFixit ou OpenMedia, qui s’appuient sur des sondages, mais aussi, des rapports ou des pétitions pour faire avancer la législation. Grâce à leur action, la pénalisation de l’obsolescence programmée est en cours de discussion dans la province du Québec et la reconnaissance d’un droit à la réparation est proche d’aboutir en Colombie-Britannique.
Amérique du Sud : l’effervescence législative au Chili, en Argentine et au Brésil
L’Amérique Latine est le théâtre d’une effervescence législative. En effet, de nombreux projets de loi sont en cours de discussion, notamment au Chili, en Argentine et au Brésil.
Le Chili et l’Argentine, débattent actuellement de propositions de loi visant à interdire l’obsolescence programmée. Au Brésil, il existe déjà une telle interdiction, mais sa définition laisse une trop grande marge d’interprétation pour donner lieu à des sanctions.
Au Chili toujours, les discussions portent sur la création d’un indice de réparabilité, inspiré du dispositif français. En Argentine, un projet de loi prévoit d’obliger les fabricants à garantir que leurs produits aient une durée de vie d’au moins 5 ans et à rendre les pièces détachées disponibles pendant 10 ans après l’achat. C’est par l’élaboration de lois sur la réduction des déchets que le Brésil, quant à lui, prend en compte l’enjeu de la durabilité des produits.
En plus de ces avancées, de nombreux recours ont été déposés contre Apple, avec des résultats mitigés. Le fabricant a dû verser 3,4 millions d’euros de dédommagement suite à une affaire au Chili. Mais, a été innocenté faute de preuves solides au Brésil.
Océanie : le travail majeur des associations
En Australie, l’association Australian earth laws alliance s’est imposée comme un acteur majeur de la lutte contre l’obsolescence programmée, grâce à de grandes actions de sensibilisation et de lobbying. Elle n’est toutefois pas (encore) parvenue à faire reconnaître l’obsolescence programmée dans la loi australienne. Récemment, un rapport est venu plaider pour la création d’un indice de réparabilité. On peut donc espérer que des avancées seront bientôt menées dans cette direction. De plus, la Haute Cour d’Australie a considéré que la réparation ou la remise à neuf d’un produit breveté ne portait pas atteinte aux droits conférés aux fabricants résultant du brevet.
En Nouvelle-Zélande, une loi de 1993 oblige les fabricants à réparer, remplacer ou rembourser les marchandises défectueuses. Néanmoins, le terme “défectueux” ne s’étend pas aujourd’hui à l’obsolescence programmée. Par ailleurs, la campagne Consumer’s Built to Last, menée par le groupement de consommateurs Consumers NZ, vise à fournir aux consommateurs les informations sur la réparabilité, la durabilité et la facilité d’accès aux pièces détachées.
Asie : un modèle économique profitant à l’obsolescence programmée
Malheureusement, le modèle économique de la Chine et de la Corée du Sud, fondé sur la production illimitée de marchandises, bénéficie largement de l’obsolescence programmée. En ajoutant à cela la place très réduite laissée aux associations par les régimes politiques de ces pays, il est aisé de comprendre pourquoi aucune avancée en matière d’allongement de la durée de vie des produits n’est actuellement constatée.
En revanche, l’Inde a fait quelques progrès, grâce à la possibilité de condamner indirectement l’obsolescence en la requalifiant en pratique frauduleuse, lorsqu’une « insuffisance de qualité » est constatée sur un produit. De plus, la Commission de la concurrence de ce pays a jugé anticonstitutionnel le fait de vendre des pièces détachées uniquement aux réparateurs agréés. Cette décision pourrait impulser une dynamique positive, avec à la clé des lois plus ambitieuses sur le sujet.
Afrique : le danger des décharges des produits venus du monde entier
Malheureusement, il n’existe aucune législation sur l’obsolescence en Afrique. Le continent africain est surtout victime de cette pratique, car les déchets que génère l’obsolescence finissent souvent dans des décharges titanesques, mettant en danger l’environnement et les populations locales.
De grandes disparités, mais de l’espoir !
Au niveau international, nous constatons de grandes différences d’implication dans la lutte contre l’obsolescence programmée. Certains pays sont particulièrement actifs (France, Allemagne, Chili), quand d’autres ne disposent d’aucune législation en la matière (en particulier en Asie et en Afrique).
Cependant, ce tour d’horizon nous donne des motifs d’espoirs. D’une part, parce que nous constatons de nombreux progrès ces dernières années et que de nombreux pays discutent actuellement de propositions de loi. D’autre part, parce que le processus par lequel les actions se sont diffusées montre un effet « boule de neige ». Le cas le plus illustratif de ce phénomène est l’action en justice contre Apple, initiée en 2017 par HOP et qui a entraîné de nombreux autres recours, en Europe mais aussi en Amérique du Nord et du Sud. On peut aussi se réjouir de la diffusion d’outils, comme par exemple, l’indice de réparabilité, que le Chili et l’Australie pourraient bientôt adopter.
On remarque aussi que, bien souvent, c’est grâce à la mobilisation d’associations que l’obsolescence programmée s’est peu à peu imposée dans le débat public. HOP et l’UFC Que-Choisir en France, iFixit et OpenMedia au Canada ou encore Australian earth laws en Australie, sont autant d’associations dont le travail de plaidoyer a eu des effets juridiques et législatifs de grande ampleur. L’émergence de réseaux transnationaux est par ailleurs une piste intéressante. Les échanges de savoir et les retours d’expérience sont en effet essentiels pour l’adoption de législation plus vertueuses, ainsi que la transformation des pratiques des fabricants.
Même si l’obsolescence programmée ne fait pas l’objet de loi officielle partout dans le monde, certains pays mettent en place des initiatives, qui vont contribuer à terme à des avancées majeures. C’est de bon augure pour les années à venir !
Pour soutenir le mouvement pour des produits durables, en France comme en Europe, n’hésitez pas à adhérer à HOP. Votre soutien est essentiel
L’association HOP tient à remercier l’ensemble des étudiants et des professeurs ayant contribué à la rédaction de ce rapport et le partage de leur expertise juridique. L’association salue tout particulièrement Ève TRUILHÉ, directrice de recherche au CNRS, qui a dirigé ce projet de recherches et continue à animer le partenariat entre l’université et l’association.
Crédits photos : Juliana Kozoski (Unsplash