En quelques décennies, l’essor des high tech a métamorphosé nos modes de vie. L’arrivée des smartphones, ordinateurs, drones et autres objets connectés a bousculé nos habitudes, mais aussi les limites de la planète. Face à ce constat, des modèles de production alternatifs émergent. C’est le cas des démarches low-tech qui se diffusent dans les mouvements écologistes et s’organisent autour d’associations et de coopératives. Pour mieux comprendre ce phénomène, l’Ademe a réalisé une étude et mené une trentaine d’entretiens. Et HOP vous en a fait une synthèse.
La Low-quoi ?
Une constellation d’acteurs, une faible prise en compte institutionnelle… Tout cela complique l’adoption d’une définition commune du terme low-tech (littéralement « basse technologie » en opposition au terme « high tech »). A partir de ses recherches, l’ADEME est parvenue à une définition à la fois complète et précise du concept :
Le qualificatif de low-tech s’applique à une démarche et non pas à son résultat. Ainsi, un objet n’est pas low-tech dans l’absolu, il est plus (ou moins) low-tech qu’une solution alternative répondant au besoin initial. L’approche low-tech, parfois appelée innovation frugale, est une démarche innovante et inventive de conception et d’évolution de produits, de services, de procédés ou de systèmes qui vise à maximiser leur utilité sociale, et dont l’impact environnemental n’excède pas les limites locales et planétaires. La démarche low-tech implique un questionnement du besoin visant à ne garder que l’essentiel, la réduction de la complexité technologique, l’entretien de ce qui existe plutôt que son remplacement. La démarche low-tech permet également au plus grand nombre d’accéder aux réponses qu’elle produit et d’en maîtriser leurs contenus.
5 grands principes
Ce qu’il faut retenir, c’est que les démarches low-tech reposent sur 5 grands principes :
Utilité : Elles doivent répondre à des besoins réels.
Accessibilité :
- Compréhensibilité : l’objet doit être facile à utiliser, mais aussi à modifier et à réparer. Les low-tech créent du lien social par un partage des savoirs et des compétences.
- Simplicité : l’objet doit se limiter aux fonctionnalités essentielles.
- Accessibilité financière
Autonomie : Chacun doit pouvoir réparer son objet et l’adapter à l’usage qu’il souhaite en faire. Se réapproprier des savoirs techniques, c’est une manière de s’émanciper de l’Etat et des multinationales. Sur le plan économique, acquérir des objets utiles à bas coût permet d’éviter le recours au crédit.
Durabilité : L’impact environnemental est pris en compte à toutes les étapes du cycle de vie d’un objet. L’objet doit être robuste, réparable, comporter des éléments issus du réemploi. Sa production doit dégager peu d’émissions de gaz à effet de serre et mobiliser le moins de ressources naturelles possible.
Local : L’objet doit être produit le plus localement possible, pour limiter son impact environnemental et participer au dynamisme du territoire.
Progrès technique, innovation… Des termes remis en question par la low-tech
Avec la low-tech, on ne se focalise non pas sur un objet mais sur toute la chaîne de production. Par exemple, un outil agricole low-tech utilisé dans un cadre d’agriculture intensive perdrait tout son sens puisque les apports de la low-tech seraient en contradiction avec l’objectif poursuivi.
Plus largement, les partisans de la low-tech portent un discours très critique sur le solutionnisme technologique, c’est-à-dire sur l’idée que les nouvelles technologies constituent la solution aux défis environnementaux. Si certains d’entre eux, comme Philippe Bihouix, sont en faveur du maintien des technologies de pointe dans certains domaines (en particulier la médecine), la définition commune du progrès technologique est remise en cause.
Le terme « innovation » est également peu apprécié par beaucoup d’acteurs des low-tech, car celui-ci transmet l’idée que toute invention technologique est un progrès humain et environnemental.
Les green tech (ou « technologies environnementales ») sont critiquées car elles peuvent générer des effets rebonds, c’est-à-dire que le gain écologique permis par leur efficacité (notamment énergétique) est annulé par l’augmentation de la consommation induite par cette nouvelle technologie. L’exemple le plus connu de ce phénomène pervers est la création de la machine à vapeur de James Watt, dont la faible consommation de charbon par rapport aux modèles précédents s’est traduite par une diffusion massive de ces machines et donc une augmentation de la consommation globale de charbon.
Numérique : la finitude des ressources en toile de fond
L’autre critique portée aux green tech est leur recours au numérique, et donc leur forte concentration en métaux rares. Les partisans des low-tech déplorent en effet que les efforts en matière d’écologie se limitent à la baisse des émissions de gaz à effet de serre et que le sujet de la finitude des ressources soit mis au second plan.
L’hypothèse du découplage entre la croissance et la consommation de ressources est elle aussi rejetée par les adeptes des low-tech. De ce fait, ces acteurs s’opposent au développement durable et s’éloignent parfois de l’économie circulaire. Par exemple, si l’indice de réparabilité recoupe certaines exigences environnementales des low-tech, il ne s’intéresse pas à la question des besoins ni de la limitation aux fonctionnalités essentielles. Cet outil pourrait donc entraîner des effets rebonds.
Partage, convivialité, démocratie et frugalité, au cœur des démarches low-tech
Plus généralement, les démarches low-tech visent à affirmer que la technique n’est jamais neutre. Repolitiser la technique, c’est rappeler que tout objet est le résultat de rapports sociaux et de rapports à la nature. Ces démarches entendent transformer la nature de ces rapports, en mettant en avant des valeurs de partage, de convivialité, de démocratie mais aussi de frugalité et de gestion raisonnée des ressources naturelles.
Si des divergences existent entre eux – notamment sur le fait de se réclamer ou non de la décroissance – il n’en demeure pas moins que la démarche low-tech se distingue de l’orientation actuelle des politiques publiques et des initiatives entrepreneuriales en matière d’écologie.
Se pose alors une question centrale : les low-tech peuvent-elles occuper une place dans le système économique actuel ? Et si oui, laquelle ?
De nombreuses initiatives entravées par un manque de reconnaissance institutionnelle et des difficultés économiques
Sur le plan institutionnel, force est de constater que les low-tech sont quasiment absentes des grands plans et orientations des gouvernements français. Ainsi, les plans France 2030, France Relance et French Tech consacrent les green tech et ne mentionnent pas les low-tech. La stratégie nationale bas carbone (SNBC) envisage la sobriété à travers le prisme de l’amélioration de l’efficacité énergétique et fait l’impasse sur la diminution de la demande.
Ceci dit, certaines coopérations avec les low-tech sont possibles puisque certaines technologies mises en avant peuvent faire l’objet de démarches low-tech (solaire thermique, matériaux biosourcés).
Un manque de cadre juridique et d’investissements
Il n’existe pas de cadre juridique qui pourrait encourager les low-tech et celles-ci souffrent d’un manque de confiance auprès des investisseurs.
Sur le plan économique, le modèle de libre partage des connaissances qui est au cœur de la démarche low-tech peine à se faire une place dans un système dominé par les brevets et l’actionnariat. Par ailleurs, les low-tech étant fondées sur une part importante de travail humain, celles-ci représentent une opportunité en termes de création d’emplois mais aussi un coût assez important. Les investisseurs sont donc assez réticents à financer ce type de projets, d’autant que les acteurs low-tech refusent d’être financés par des investisseurs dont ils ne partagent pas les valeurs.
Néanmoins, les démarches low-tech parviennent à voir le jour dans des structures alternatives, comme les coopératives et les associations, dont le fonctionnement (recours au bénévolat, multiplicité des activités) est plus favorable aux low-tech que celui des entreprises classiques. Les nouvelles méthodes de financement, comme les cagnottes participatives, permettent à certaines de ces initiatives de se concrétiser. Enfin, les démarches low-tech orientées vers l’économie de la fonctionnalité se distinguent des autres car elles trouvent un écho auprès des entreprises classiques.
Diffuser les low-tech… Mais à quel prix ?
Dans son étude, l’ADEME suggère donc un certain nombre d’actions pour développer ces démarches. Cela passe notamment par un travail de sensibilisation et de développement d’un imaginaire low-tech. En parallèle, des progrès doivent être réalisés sur le plan réglementaire et des aides financières mises en place pour soutenir ces initiatives.
La nécessité de les démocratiser présente toutefois un risque : celui du dévoiement du concept. Certains acteurs interrogés dans l’étude font part de leurs craintes quant à une possible transformation du sens de ces démarches suite à leur diffusion dans les entreprises et les institutions. Certains redoutent un low-tech washing, où ces dernières s’ajouteraient simplement aux autres technologies plutôt que de les remplacer. Pour eux, leur diffusion ne doit pas se faire au prix d’une dépolitisation de ce concept.
Le numérique est souvent considéré à tort comme immatériel. Son empreinte, elle, est pourtant bien concrète : 70 kilos de matières premières sont nécessaires pour fabriquer un seul et même smartphone. En faisant de la durabilité un critère essentiel, les low-tech proposent des alternatives à la fois utiles, locales et accessibles à tous. Surtout, ces démarches viennent questionner le rapport de dépendance de la société aux nouvelles technologies. Pourquoi choisir une solution technologique complexe, opaque et coûteuse quand il est possible de faire autrement ? A l’heure de la multiplication des objets connectés, tout comme de leurs déchets, les low-tech s’engagent au contraire pour la sobriété, la coopération et l’utilité sociale.
Aller plus loin
- Le rapport Démarches « Low Tech » de l’Ademe (2022)
- « L’Âge des low tech – Vers une civilisation techniquement soutenable » de Philippe Bihouix
- « Du low-tech numérique aux numériques situés » de Nicolas Nova et Gauthier Roussilhe
- « Introduction au dossier Low-Tech : Low-tech et enjeux écologiques : quels potentiels pour affronter les crises ? » de Christophe Abrassart, François Jarrige et Dominique Bourg
- Le site du Low-Tech Lab
- Le podcast « Low Tech : comment faire plus et mieux avec moins ? » de France Culture avec Philippe Bihouix, Sophia Fischer et Thibaut Faucon
- Le documentaire « L’Éclosion LOW-TECH » de Lorenzo Biagini, Nicolas Nouhaud et Esteban Stephan
Cet article a été écrit dans le cadre du Mois du numérique de HOP.
Crédits photo : cottonbro