Obsolescence culturelle : le JDP juge fondée la plainte de HOP contre Chromebook (Google)

Le 12 octobre 2020, l’association HOP déposait une plainte auprès du jury de déontologie publicitaire, pour une publicité qu’elle estimait contraire aux recommandations de développement durable de l’ARPP, et plus largement aux principes de l’économie circulaire.

Dans trois spots différents, la publicité met en scène trois personnes avec un ordinateur qui prend du temps au démarrage, dont la charge de la batterie ne dure pas suffisamment longtemps ou encore qui fait face à de problèmes de sécurité. La solution proposée ? « Changez pour Chromebook ».

Retour sur la plainte déposée par HOP

HOP a basé sa plainte sur la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP, qui énonce notamment que « la publicité ne saurait inciter directement ou indirectement à des modes de consommation excessifs ou contraires aux principes de l’économie circulaire. A ce titre, elle ne doit pas inciter au gaspillage par la mise au rebut d’un produit ou sa dégradation alors que celui-ci fonctionne encore », de même que « la publicité doit éviter, dans son discours, de minimiser les conséquences de la consommation de produits susceptibles d’affecter l’environnement ».

Or selon HOP, cette publicité encourage l’obsolescence culturelle d’appareils fonctionnels, présentant un ralentissement ou une mauvaise charge de batterie, en incitant à leur renouvellement injustifié. Elle montre le remplacement d’un appareil fonctionnel mais vieillissant comme allant de soi et sans impact. L’impact environnemental d’un ordinateur doit ici être rappelé. Pour sa conception, il faut près de 250 kg de matières premières, pour une émission d’environ 45 kg d’eq. CO2, soit 15 fois plus qu’une chaîne hi-fi. Ces émissions ont principalement lieu lors de l’extraction des matières premières (30kg eq. CO2 environ) et de la distribution (8kg eq CO2 environ)[1]. Ces chiffres montrent que l’essentiel de cet impact se situe lors de la phase de fabrication. Pour HOP, il est donc irresponsable d’appeler au renouvellement intégral de ces équipements quand ils fonctionnent encore. En outre, cette publicité ne contient aucun message sur le réemploi, la réparation ou même le recyclage de son appareil actuel. Dans les différentes scènes l’ordinateur semble se volatiliser (sous une table ou en glissant vers le bord d’un comptoir par exemple) au profit du nouveau Chromebook : la symbolique est forte quant à l’évocation de la mise au rebus des ordinateurs.

La défense de Google était axée sur le fait que la publicité en question « n’incite pas à remplacer un ordinateur ancien ou défectueux, mais à adopter la solution performante Chromebook » afin de bénéficier des « avantages du système d’exploitation Chrome OS de Google ». En clair, selon Google, la publicité n’incite pas à se débarrasser de son ancien ordinateur, mais simplement à adopter une solution plus en accord avec la « satisfaction des besoins de l’utilisateur » : « Les solutions présentées comme moins performantes dans cette publicité ne sont pas « jetées » comme le soutient la plaignante. Elles sont simplement écartées pour présenter une solution qui répond aux besoins des utilisateurs ». On peut alors légitimement se demander ce que deviennent les anciens ordinateurs représentés dans le spot ?

La décision du jury

Dans sa décision finale publiée le 04 janvier 2021, le jury a estimé que la publicité concernée n’incite pas forcément à un mode de consommation excessif, considérant que les recommandations de développement durable fixée par l’ARPP (Autorité de Régulation Professionnel de la Publicité) ne sauraient « interdire par principe à une publicité d’inciter le détenteur d’un appareil à faire l’acquisition d’un matériel plus performant répondant mieux à ses besoins, quand bien même l’ancien appareil ne serait-il pas impropre à tout usage ». Néanmoins, il appelle à la vigilance concernant la présentation du devenir du matériel remplacé, dans une publicité mettant en scène le remplacement de l’ancien ordinateur « dénigré en raison de ses performances limitées ». Ainsi, concernant la mise au rebus des appareils remplacés, et l’absence de message informatif visant à une revalorisation de ces ordinateurs encore fonctionnels, le jury donne raison à HOP. Il indique que la publicité « donne le sentiment que leur sort ne présente aucune importance », et incite à la mise au rebus de ces appareils « sans prise en compte des possibilités de valorisation alternatives », ni égard aux « conséquences environnementales de leur remplacement, qui sont pourtant significatives ». Or comme le spécifie le JDP, « la question de la réutilisation, de la seconde vie, du recyclage et du traitement des produits électroniques présente une acuité particulière ».

Lutter contre l’obsolescence culturelle et mieux encadrer la publicité

Il devient urgent d’infléchir nos modes de consommation. Devant un produit qui affiche un ralentissement ou une batterie qui se charge mal, le réflexe à acquérir doit être le changement de la pièce défectueuse et/ou la remise en état plutôt que le remplacement intégral de l’équipement. Selon HOP, une telle publicité incite au contraire à la surconsommation électronique, qui a un très lourd impact environnemental et climatique.

Cet avis rendu par le JDP, montre bien l’ambivalence possible de la publicité. Si HOP se félicite du fait que le JDP alerte sur la revalorisation et la seconde vie possibles pour les ordinateurs usagers, l’association regrette qu’il ne considère pas la publicité en question comme une incitation à une « consommation excessive ». Et pour cause, cette annonce invite les consommateurs à remplacer leur ordinateur par un équipement plus performant vis-à-vis de leurs besoins supposés ou suggérés, ce qui en fin de compte est le principe de base d’une publicité. En outre, le JDP ne dispose pas de pouvoir de contrainte le cas échéant, ces avis étant non-contraignants. Face à ce constat, l’association appelle à une véritable réglementation de la publicité, qui doit être plus encadrée par la loi, et mener à la mise en place de sanctions réelles pour les annonces qui iraient à l’encontre des objectifs environnementaux et sociaux. En effet, elle joue un rôle non négligeable dans le phénomène d’obsolescence culturelle et esthétique, et n’informe pas assez les consommateurs sur les conséquences de leurs achats. Il conviendrait notamment d’inscrire dans le droit, et non simplement dans la régulation sectorielle, certains principes pour la publicité, afin que les annonces soient plus en accord avec les objectifs d’économie circulaire du Gouvernement.

[1] ADEME (2018). Modélisation et évaluation des impacts environnementaux de produits de consommation et biens d’équipements

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