Quand les promesses vides ne suffisent pas : pourquoi une réglementation est nécessaire pour mettre fin à l’obsolescence programmée des imprimantes

 

Cet article a été rédigé (en anglais) par ECOS, membre de la coalition Right To Repair Europe, dans le cadre de la campagne Coolproducts. Nous vous en proposons ici une traduction en français. Lien vers l’article original.

Les imprimantes sont devenues l’archétype de la culture du jetable, malgré plus d’une décennie d’engagements volontaires de l’industrie approuvés par l’Union Européenne pour les rendre plus durables. Si la Commission européenne veut tenir sa promesse de freiner l’obsolescence programmée de ces objets, elle doit maintenant s’emparer pleinement du sujet et proposer une réglementation dédiée, plutôt que d’entériner les promesses sans ambition des fabricants.

« Des imprimantes pas chères pour la décharge » / « Nous n’avons aucune intention de changer » / « Des consommables non durables pour la décharge » (par Visual Thinkery)

La faible durabilité des imprimantes concerne tout le monde

L’explosion des ventes d’imprimantes, induite par l’augmentation du travail à domicile pour cause de pandémie a, sans surprise, remis sous les feux de la rampe le manque de fiabilité des imprimantes. Souvent vendues à perte avec le but d’effectuer les bénéfices avec la vente de cartouches (ou de toners dans le cas des imprimantes laser), les imprimantes domestiques – et leurs consommables – ne sont pratiquement jamais conçues dans une optique de réparabilité ou de durabilité.

Il en résulte que de grandes quantités d’équipements d’impression à courte durée de vie sont jetées sur le marché européen et viennent s’ajouter à la pile toujours croissante des déchets électroniques. Aujourd’hui, environ 80 % des imprimantes sont remplacées par leurs utilisateurs dans les trois ou quatre années suivant leur achat, c’est-à-dire aussi souvent que des jeans. En plus d’être une mauvaise affaire pour le consommateur, cette situation constitue également un grave problème environnemental.

Les imprimantes au cœur du tsunami des déchets électroniques

Les impacts environnementaux des équipements d’impression proviennent des ressources nécessaires à leur fabrication, de l’énergie utilisée pour les faire fonctionner et des impacts de ces produits en fin de vie. En outre, les consommables des imprimantes (cartouches d’imprimantes et papier) ajoutent à la charge environnementale de ces produits.

Selon nos estimations, les équipements d’imagerie mis au rebut dans l’UE produisent chaque année environ un demi-million de tonnes de déchets électroniques, dont un peu plus de 10 000 tonnes – soit 2 % – sont ensuite réutilisées dans de nouveaux produits. Les cartouches d’imprimantes sont, quant à elles, à l’origine de 150 000 tonnes supplémentaires de déchets électroniques toxiques, dont on estime que la moitié environ est incinérée ou mise en décharge.

Au total, la quantité de déchets électroniques liés à l’utilisation d’imprimantes qui est incinérée ou mise en décharge en Europe chaque année équivaut au poids d’environ 150 000 voitures, dépassant de loin les quantités associées à l’utilisation de smartphones ou de tablettes. Les calculs d’ECOS montrent que la quantité de déchets annuels provenant des équipements d’imagerie et des consommables mis au rebut est presque 9 fois plus élevée que celle des smartphones, et plus de 20 fois plus élevée que celle des tablettes électroniques gaspillées.

Les imprimantes sont devenues l’archétype de la culture du jetable d’aujourd’hui. Pire encore, leur courte durée de vie est souvent dictée par des choix de conception délibérés. Cette obsolescence programmée se manifeste non seulement par la mauvaise conception des imprimantes, mais aussi par les multiples techniques – notamment les « puces de sécurité » et les mises à jour des microprogrammes – utilisées par les fabricants pour empêcher les consommateurs d’utiliser des cartouches rechargées, tierces ou remanufacturées.

Ces pratiques ont fait l’objet d’un certain nombre de poursuites judiciaires dans les États membres de l’UE au cours des dernières années. Cependant, l’utilisation de « puces de sécurité » est devenue courante dans la plupart des imprimantes, et il ne reste qu’un nombre sporadique d’exceptions.

Lla quantité de déchets électroniques liés à l’utilisation d’imprimantes qui est incinérée ou mise en décharge en Europe chaque année équivaut au poids d’environ 150 000 voitures

« Déchets électroniques annuels issus de l’utilisation d’imprimantes et destinés à la décharge et à l’incinération. » / « 150 000 voitures » / « Nous faisons tout ce que nous pouvons… » (par Visual Thinkery)

Les sinueux chemins du changement

L’impact environnemental des imprimantes n’est pas passé inaperçu auprès de la Commission européenne. En fait, le régulateur s’est penché sur les moyens de réduire l’empreinte environnementale de ces appareils depuis le début des années 2010.

En 2011, la Commission a décidé d’approuver un accord volontaire (AV) proposé et signé par l’industrie comme alternative à une réglementation dédiée à l’écoconception, donnant ainsi la priorité aux engagements volontaires des fabricants plutôt qu’à une réglementation dure. La Commission européenne espérait ainsi que cela permettrait d’atteindre les objectifs politiques plus rapidement et de manière plus rentable. Dix ans plus tard et après un cycle de révision des engagements pris, il est clair que ce n’était pas le bon choix.

Pour déclencher le changement, une révision de l’accord a été lancée dès 2018, visant à identifier les moyens de remanier l’ensemble des engagements existants – en particulier concernant la réutilisation, la réparation et la reconditionnement des imprimantes et des cartouches.

La proposition de l’industrie de laisser de côté toute exigence liée aux cartouches d’imprimantes a fait sourciller toutes les parties concernées. La Commission européenne a alors donné six mois à l’industrie pour parvenir à un accord volontaire plus ambitieux ou voir une réglementation dédiée introduite – de manière similaire à celles qui existent pour les appareils ménagers tels que les machines à laver et les téléviseurs. Plus d’un an plus tard, le secteur a finalement présenté un texte actualisé – mais à peine amélioré – au printemps de cette année. L’évaluation du texte soumis par les services de la Commission est en cours depuis lors. La décision cruciale de soutenir le texte proposé en tant qu’initiative reconnue par l’UE ou de présenter un instrument réglementaire à la place est, enfin, attendue d’ici 2022.

Ambition minimale, consommation maximale

La décision de la Commission européenne s’annonce comme une affaire assez simple, mais aux implications énormes. Pleine d’exceptions, d’omissions et de lacunes, la proposition d’accord volontaire a manifestement été rédigée pour préserver le modèle commercial actuel, qui tourne autour d’une consommation toujours plus importante, avec peu ou pas de considération pour les consommateurs ou l’environnement. Pratiquement aucun des engagements n’est assorti de dispositions fermes garantissant qu’ils seront respectés, et pratiquement aucun ne fixe le niveau d’ambition au-delà du strict minimum. Approuver l’accord proposé serait donc une grave erreur.

Les failles du texte sont nombreuses et critiques. Pour commencer, la mesure d’autorégulation proposée ne s’appliquera pas, par défaut, à un certain nombre d’entreprises concernées qui ont décidé de ne pas soutenir l’initiative. Il s’agit non seulement de certains des plus grands fabricants d’imprimantes, tels que Ricoh et Konica Minolta, mais aussi de la grande majorité des entreprises qui s’efforcent de donner une seconde vie aux cartouches usagées, puisque seuls quatre fabricants de cartouches se sont engagés à soutenir l’initiative à l’heure actuelle.

Cela n’est guère surprenant compte tenu du mécanisme proposé pour encourager la réutilisation des cartouches dans le cadre du texte proposé. Au lieu de s’engager à fournir des « puces de sécurité » en tant que pièces de rechange ou à fournir d’autres outils pour faciliter leur recalibrage en tant qu’option par défaut, les fabricants d’imprimantes proposent d’établir un système obscur d’accords commerciaux bilatéraux avec les fabricants de consommables d’imprimantes sélectionnés qui sont signataires de l’accord volontaire. Le contenu exact de ces accords n’est, bien entendu, pas détaillé.

La seule chose qui est claire, c’est le manque total de transparence – ni la Commission européenne ni aucune autre partie prenante n’aura le droit de voir les détails. Pour s’assurer que le nombre d’accords bilatéraux de ce type reste limité, le texte de l’AV n’incite absolument pas les fabricants d’imprimantes à les signer. Proposer un accord qui est ensuite rejeté par un fabricant de cartouches (en raison de conditions commerciales qui ne peuvent être acceptées, par exemple) est proposé comme suffisant à des fins de conformité.

Un festival de failles

Dans la perspective business as usual habituelle, il s’agit là d’un coup de génie, le texte de l’Accord Volontaire proposé est un cadeau pour quiconque prend la peine de le lire. L’AV est en fait un véritable fourre-tout d’échappatoires pour répondre aux besoins de chacun.

Aucune exigence n’est introduite pour les scanners, il est proposé que les exigences de réparabilité ne s’appliquent à aucune des imprimantes vendues pour moins de 300 euros (ce qui représente la plupart des imprimantes achetées par les consommateurs aujourd’hui), et il est proposé d’autoriser l’utilisation de micrologiciels et de « puces de sécurité » pour empêcher l’utilisation de cartouches tierces dans les cas où un simple autocollant sur l’imprimante en informe le consommateur, par exemple.

Les engagements eux-mêmes sont rédigés de manière à légitimer le statu quo. Prenez la réparabilité, par exemple. Tout en énumérant un certain nombre de pièces de rechange qui doivent être fournies par les fabricants, les engagements ne mentionnent pas le groupe cible et omettent un certain nombre de composants critiques connus pour être responsables des pannes courantes des imprimantes. Selon le texte proposé, il suffirait de fournir quelques pièces à quelques réparateurs sélectionnés pour prétendre à la conformité, ce qui, il va sans dire, n’aurait que peu ou pas d’effet sur la réparabilité réelle des imprimantes.

Des exemples similaires abondent dans tout le texte, surtout si l’on considère les domaines que l’AV devrait aborder mais ne le fait pas. Par exemple, aucune exigence n’est proposée en ce qui concerne le contenu recyclé minimum post-consommation dans les imprimantes pour stimuler l’adoption si nécessaire de matériaux recyclés, et aucune restriction n’est contenue sur les retardateurs de flamme halogénés qui empêchent le recyclage des plastiques, qui constituent la majeure partie de ces produits.

Pour couronner le tout, tout ce qui précède est associé à un mécanisme d’application global qui ne repose sur rien d’autre que des promesses. Pour la plupart des produits, la conformité est assurée par des contrôles aléatoires au niveau du produit par les autorités compétentes des États membres. L’AV, cependant, propose de vérifier la conformité aux exigences proposées sans aucun test réel des produits. Au lieu de cela, un lien vers le site web ou une déclaration de l’entreprise doit être considéré comme suffisant.

Illustration sur l'accord volontaire des fabricants d'imprimantes

« Bourré d’exceptions, d’omissions et d’échappatoires : une vraie blague ! » ONGs / « Coche toutes les bonnes cases » Les fabricants d’imprimantes / « C’est un écran de fumée de promesses vides – mais la Commission y croira-t-elle ? » (par Visual Thinkery)

La pression monte, mais cela sera-t-il suffisant ?

Heureusement, la situation décrite ici n’est pas complètement sombre. Pour commencer, le fait que les services de la Commission évaluent l’accord de manière plus approfondie que par le passé est certainement une bonne nouvelle – et nous avons veillé à ce qu’aucune des failles ne passe inaperçue. Le soutien croissant des décideurs politiques aux initiatives qui soutiennent le droit des consommateurs à la réparation constitue également une toile de fond qui incite à l’optimisme.

Une bonne dose de prudence s’impose toutefois. Même lorsque tous les arguments semblent indiquer la nécessité d’une intervention réglementaire, l’UE a l’habitude de donner la priorité à des initiatives volontaires peu convaincantes, quels que soient leurs mérites réels. La décision en suspens sur les imprimantes sera un test important du sérieux de l’intention du régulateur européen de tourner la page des technologies jetables. Ce qui est clair, c’est que cela exige sans aucun doute de la Commission qu’elle cesse de se contenter des promesses et qu’elle s’affirme, un règlement à la fois.


Cet article a été rédigé (en anglais) par ECOS, membre de la coalition Right To Repair Europe, dans le cadre de la campagne Coolproducts. Nous vous en proposons ici une traduction en français

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